23 avril 2025

Action en démolition au fond ou en référé au choix pour les communes et les EPCI

Une construction réalisée sans autorisation ou en méconnaissance de cette autorisation ?
Des travaux dispensés d’autorisation  réalisés en violation du plan local d’urbanisme ?
Que peut faire une commune face à ce type de situation ?

 

Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont régulièrement confrontés à des situations de constructions réalisées sans autorisation d’urbanisme ou en méconnaissance de celle-ci.

 

Pour faire face à ces irrégularités, la loi offre plusieurs leviers.

 

Parmi ces leviers, il y a l’action en démolition, prévue à l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, qui permet aux communes et aux EPCI compétents de solliciter la mise en conformité ou la démolition d’une construction illégale.

 

Au-delà de cette voie de recours au fond, les collectivités peuvent également saisir le juge des référés du tribunal judiciaire, sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile (CPC).

Un arrêt récemment rendu par la Cour de cassation le 20 mars 2025 confirme cette possibilité et précise les conditions dans lesquelles ces deux actions peuvent coexister.

 

Cet article propose une analyse du cadre juridique applicable à l’action en démolition, de la portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2025 et des enseignements pratiques à en tirer.

 

1-    Quel est le cadre juridique de l’action en démolition ?

 

Le fondement légal : l’article l. 480-14 du code de l’urbanisme

 

L’article L. 480-14 du code de l’urbanisme habilite la commune ou l’EPCI compétent en matière de PLU à saisir le tribunal judiciaire pour ordonner la démolition ou la mise en conformité d’une construction édifiée sans autorisation d’urbanisme ou en méconnaissance de celle-ci.​

Cette action civile est à distinguer de l’action publique qui permet de saisir le juge pénal pour sanctionner les infractions aux règles d’urbanisme, sur le fondement de l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme.

 

Elle permet ainsi aux communes ou EPCI de faire cesser des situations irrégulières, même lorsque l’action publique est prescrite.

Elle est encore à distinguer de l’action civile en démolition susceptible d’être engagée par un voisin pour méconnaissance des règles issues du code civil ou sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.

L’action en démolition : un délai de prescription de 10 ans

 

En vertu de l’article L. 480-14 du Code de l’urbanisme, le délai de prescription de l’action civile intentée par la commune ou l’EPCI est de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux.

L’action publique, quant à elle, se prescrit par 6 ans à compter de l’achèvement des travaux. Ainsi, même si l’action publique est prescrite, la commune ou l’EPCI a encore la possibilité d’engager une action civile pour obtenir la démolition ou la mise en conformité de la construction illégale.​

 

Les conditions d’exercice de l’action en démolition

 

Pour que l’action en démolition soit recevable, plusieurs conditions doivent être réunies :​

  • La commune ou l’EPCI qui intente le recours doit être compétent en matière de PLU sur le territoire concerné.
  • La construction doit avoir été réalisée sans autorisation d’urbanisme ou en méconnaissance de celle-ci.​
  • L’action doit être intentée dans un délai de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux.​

 

2-    L’arrêt du 20 mars 2025 : le juge des référés peut-il ordonner à titre conservatoire la démolition malgré l’article L. 480-14 du Code de l’urbanisme ?

 

Le contexte de l’affaire

 

Une SCI a réalisé des aménagements et installations sans autorisation sur une parcelle dont elle est propriétaire mais qui, en vertu du PLU et du Plan de prévention des risques inondations (PPRI) est inconstructible. La commune compétente en matière de PLU et de PPRI a alors demandé au juge des référés, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile (CPC), la remise en état de la parcelle, sous astreinte.

 

La SCI soutenait que seule une action au fond fondée sur l’article L. 480-14 était possible en l’espèce et que cette voie de recours ouverte aux collectivités excluait la compétence du juge des référés.

Ce dernier, suivi ensuite par la cour d’appel, a pourtant fait droit à la demande de la commune. La SCI a alors formé un pourvoi en cassation en invoquant une violation du principe selon lequel le texte spécial (L. 480-14) déroge au texte général (art. 835 CPC).

 

La question se posait alors devant la Cour de cassation de savoir si l’action en démolition ouverte aux communes et aux EPCI pouvait faire obstacles à une saisine du juge des référés pour le prononcé de mesures conservatoires ou immédiates.

 

Le juge des référés du tribunal judiciaire peut-il être saisi pour ordonner la remise en état d’une construction irrégulière ?

 

Oui. Dans son arrêt du 20 mars 2025 (Civ. 3e, 20 mars 2025, n° 23-11.527) la troisième chambre civile de la Cour de cassation a clairement affirmé que :

« L’article L. 480-14 du code de l’urbanisme […] n’a ni pour objet ni pour effet de priver ces autorités de la faculté de saisir le juge des référés, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, pour faire cesser le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent résultant de la violation d’une règle d’urbanisme. »

 

Autrement dit, la voie du référé reste ouverte aux collectivités même lorsqu’elles disposent d’une action au fond en démolition.

 

3-    Quel est l’apport concret de cette décision ?

 

L’apport majeur de cet arrêt est de confirmer que l’article L. 480-14 et l’article 835 CPC sont autonomes et complémentaires :

  • Le juge du fond est compétent pour ordonner des démolitions ou mises en conformité sur le fondement de L. 480-14.
  • Le juge des référés peut intervenir pour prescrire des mesures conservatoires ou immédiates, sans attendre une décision sur le fond.

 

Cette lecture vient confirmer que les communes ou EPCI ont plusieurs options contentieuses à leur disposition pour faire respecter l’ordre public urbanistique, à la fois au fond et en référé.

 

Le juge des référés est-il limité à des mesures de démolition ou de mise en conformité ?

 

Non. Contrairement à ce que soutenait la SCI devant la Cour de cassation, le juge des référés n’est pas tenu par les seules mesures énumérées à l’article L. 480-14.

En vertu de l’article 835 du CPC, il peut en effet prescrire toute mesure appropriée pour faire cesser un trouble manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent.

Dans l’affaire portée devant la troisième chambre civile, cela comprenait la suppression des aménagements irréguliers et le remblaiement du terrain, démontrant l’ampleur des mesures que le juge peut ordonner.

 

Conclusion : les points à retenir

 

L’arrêt du 20 mars 2025 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte des précisions très intéressantes sur les outils contentieux à disposition des collectivités pour lutter contre les constructions irrégulières :

 

  • L’action en démolition, prévue à l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, permet aux communes et EPCI compétents de demander la démolition ou la mise en conformité d’une construction irrégulière, dans un délai de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux.
  • Cette action n’est pas exclusive : la possibilité de saisir le juge des référés demeure ouverte, sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile, afin de faire cesser un trouble manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent.
  • La Cour de cassation confirme que ces deux voies sont autonomes et complémentaires, ce qui permet aux collectivités de combiner l’efficacité rapide (par référé) et le traitement au fond (par l’action en démolition).
  • Le juge des référés n’est pas limité aux seules mesures prévues par l’article L. 480-14. Il peut ordonner toute mesure conservatoire jugée appropriée.

 

Face à une construction irrégulière, comment déterminer l’action la plus adaptée pour faire respecter les règles d’urbanisme ?

 

Maître Samantha Carneiro, avocat en droit de l’urbanisme à Argelès-sur Mer et Perpignan, met son expertise au service des collectivités, des entreprises et des particuliers pour les accompagner dans l’analyse de leur situation, les conseiller sur les actions à engager ou les moyens de défense et les assister tout au long de la procédure contentieuse, qu’il s’agisse d’un recours en référé ou d’une action en démolition au fond.